西尾治子 のブログ Blog Haruko Nishio:ジョルジュ・サンド George Sand

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George Sand Terroir et Histoire

2017年10月04日 | 手帳・覚え書き
George Sand Terroir et Histoire


Introduction

1Il s’agit presque d’un détour obligé. Lorsqu’on rend hommage à un grand écrivain du xixe siècle, comment ne pas mettre en avant sa double appartenance, nationale et régionale ? Dans leur espace local, ces écrivains trouvent des racines, des valeurs qui échappent aux rides du temps, une distance qui arrache à l’immédiateté des choses… Dans l’espace national – en fait matérialisé par le séjour dans la capitale – ils peuvent entrer de plain-pied dans l’histoire, la fureur des événements, comme spectateur direct ou comme acteur : Chateaubriand, Lamartine, Tocqueville… Ce dialogue indispensable entre Paris et la province est à la source même des réflexions mûries par nos grands intellectuels sur l’histoire de la France du xixe siècle. Pour George Sand, la démarche prend une dimension toute particulière parce qu’elle appartient à une catégorie d’écrivains qui rompt l’équilibre du dialogue et se revendique d’abord de sa province avant d’appartenir à l’espace national.

2En règle générale, cette priorité choisie dissimule mal un refus ou une critique de la nation nouvelle qui s’est construite en 1789 en brisant les vieux cadres provinciaux. Mais ce n’est pas le cas de George Sand. Possédant le Berry jusque dans ses veines, elle adhère de cœur et d’esprit à la France nouvelle qui ouvre à ses yeux la seule voie possible du progrès. Elle pousse même le paradoxe plus loin, puisque c’est dans le Berry, dans cette France rurale qui suit à petits pas le progrès de la nation qu’elle trouve chez ses paysans, chez les penseurs qui ont rejoint la province comme Pierre Leroux, les promesses d’une nouvelle société égalitaire, fraternelle, socialiste, et qui va au-delà des cadres fixés par les républicains.

3Cet important colloque, organisé par l’université d’Orléans et consacré à George Sand dans son Berry, nous invite à nous interroger sur l’originalité de la démarche de l’écrivain grâce aux regards croisés des spécialistes de la littérature et des historiens. Replacer les personnages doux et purs des romans rustiques dans le champ des structures politiques et sociales de la région, mais aussi des problématiques du changement et des grands débats d’idées du premier xixe siècle, modifie assez profondément le profil d’une œuvre appauvrie au prisme d’une école républicaine qui l’a souvent réduite à la dimension d’une leçon de morale puisée dans une France rurale idéalisée.

4Plusieurs pistes sont ouvertes ou explorées à nouveau par les intervenants et ces analyses brouillent avec bonheur le débat souvent imposé à ses romans : idéalisme romanesque ou réalisme rustique. Quelle place d’abord accorder au Berry dans l’œuvre littéraire, mais aussi dans sa pensée sociale et ses choix politiques ? Le Berry n’est ni région, ni province, il est « terroir », c’est-à-dire espace complexe qui ne relève pas du folklore, mais qui est pétri d’histoire, de sentiments, de souvenirs personnels qui sont ceux de la petite enfance de l’écrivain. C’est aussi un paysage, car il y a chez George Sand le regard du peintre ; un paysage que l’écrivain volontiers ne classe pas parmi les plus beaux, mais qui est une source inépuisable de rêveries pour une jeune fille romantique. Mais le terroir intervient aussi au cœur d’une démarche qui, chez George Sand, n’est pas seulement sentimentale, mais intellectuelle. L’écrivain appartient à une génération d’intellectuels dont la pensée s’est cristallisée dans les années 1840, les « decisive years » de l’historien Pinkney. C’est dans cette décennie qu’est perçu un changement profond de société qui prolonge le changement politique intervenu en 1789. Tout un monde ancien, à peine effleuré par la Révolution, apparaît désormais menacé, voire condamné par une modernité qui prend parfois un visage hostile, parfois les traits positifs du progrès. Dès cette époque, les « petits » se sentent menacés par les « gros » et par ce que George Sand appelle le « génie de la spéculation ». Alors qu’on est encore loin d’un recul de la population rurale, le terroir semble condamné. On peut donc à la fois adhérer au progrès et redouter ses nouveaux effets, les crises, les inégalités plus fortes, la dureté des nouvelles élites qui se substituent aux anciennes.

5George Sand, très sensible à cette évolution, trouve dans son Berry un point d’ancrage qui fait contrepoids à ces menaces. Le terroir berrichon est pour elle la référence majeure d’un équilibre profond que l’on peut opposer aux déséquilibres qui ne sont pas ceux de la ville – elle n’est pas dans une logique de refus du monde urbain –, mais de toute une société qu’elle aspire à changer. Ce terroir est précieux parce qu’on peut y retrouver une harmonie, une stabilité compromise par les crises révolutionnaires, les échecs politiques, les déceptions amoureuses, les interrogations spirituelles. C’est pour le préserver, car George Sand en perçoit la précarité, que l’écrivain se transforme en ethnologue et fait de ses romans, pas seulement des « histoires », mais aussi un vaste répertoire des coutumes, des danses, des parlers, des croyances qui constituent, au-delà de la fiction, le socle remarquable d’une méthode historique qui nous apparaît très moderne et que l’on pourrait classer dans ce que nous appelons l’histoire des mentalités.

6Et pourtant, la galerie des portraits que nous rencontrons dans les ouvrages de l’écrivain paraît très éloignée de ce que nous apportent en contre point l’étude du Berry « réel », de ses paysans, de son profil politique, et d’une certaine manière de la propriétaire de 224 hectares qu’est la « bonne dame » de Nohant. D’un côté des héros qui sont d’abord des figures morales, de belles âmes, simples, pures, tendues vers le bien, portraits d’autant plus vertueux qu’ils sont mis en valeur par des personnages qui incarnent sans nuances des valeurs négatives : la cupidité, le lucre, l’avarice… De l’autre un paysage social que les archives montrent sensiblement différent. Le Berry de George Sand est pauvre, accroché aux acquis de la Révolution française, ce qui se traduit politiquement par le refus des extrêmes et l’adhésion à un républicanisme de ruraux qui fait bon ménage avec l’adhésion au culte napoléonien et à l’empire du neveu. Mais le Berry des paysans est encore, dans cette région carrefour, loin des effusions sentimentales et conciliatrices des héros sandiens, marqué par les fureurs paysannes de l’ancien régime, les rumeurs folles, de redoutables colères faites de pillage de convois de grains, de taxations et de violences à l’encontre des élites. Quant à George Sand notable, elle ne se démarque guère des propriétaires classiques. L’écrivain n’est pas agronome progressiste ; elle recherche, sans être très convaincante, à améliorer ses terres et se comporte correctement avec ses fermiers qui ne ressemblent guère à ses personnages de romans.

7Le colloque montre toutefois qu’on ne peut aller plus loin dans cette œuvre, en fait plus déroutante qu’on ne l’a dit, en se contentant d’opposer l’idéalisme de la galerie des héros à la société réelle du Berry et au-delà, à celle de la France du xixe siècle. D’autres clefs de lecture sont données par les historiens. D’abord parce que cette œuvre qui peut paraître lisse et destinée à figurer dans les manuels de lecture moralisants de la fin de la République modérée est une œuvre politique contestataire et saisie comme telle en son temps. Rome l’a mise à l’Index, en dénonçant au-delà de son anti-cléricalisme virulent, le danger, tout simplement, du genre romanesque. Après un voyage romantique en Italie, à Venise, George Sand ne voit dans la Rome qu’elle visite un peu plus tard que l’image insupportable de la Rome des papes. Contestataire encore, l’œuvre de George Sand par son anti-féodalisme, son hostilité profonde à la caste aristocratique dénoncée sans nuances dans ses romans. L’écrivain appartient bien, de ce point de vue, à la génération de 1830, celle qui a entendu mettre un point final à toutes les velléités de retour à l’ancien régime et qui reste aux avant-postes du combat inauguré en 1789. Mais plusieurs communications reviennent sur le sens du combat qui reste aux yeux de l’auteur le plus important, le combat qui lui vaut beaucoup d’ennemi, le choix du socialisme. C’est parce qu’elle adhère au socialisme, qu’en 1848, George Sand s’éloigne de Ledru-Rollin, seulement radical, et se rapproche de Louis Blanc, socialiste. Républicaine convaincue, elle est plus « socialiste » que républicaine. Sous l’Empire, pour faire avancer ses idées en faveur du « social » elle n’hésite pas à se rapprocher du régime et nourrit une grande affection pour Napoléon Jérôme, le socialiste de la « famille ». Son socialisme est toutefois complexe. Dans une France rurale qui redoute les partageux, il est assez proche, en fait, des thèses radicales. Il existe une propriété personnelle, celle qui appartient à l’individu et définit son identité, sa personnalité qu’il faut protéger soigneusement. La propriété démocratisée pour tous est une revendication qu’elle oppose aux « gros », mais aussi et avec vigueur à ceux qui veulent la communauté des biens. On ne transige pas sur la liberté et la propriété individuelle.

8En revanche, une part de la propriété, celle qui relève des moyens de production, devrait être collective, car, abandonnée au marché, elle ne pourrait qu’être accaparée par les monopoles. Sa pensée est ainsi fortement marquée par le combat des années 1840 qui dénonce moins la bourgeoisie que les « féodalités financières » soupçonnées d’accaparement. Son socialisme rejoint du reste celui de Louis Blanc, dans la mesure où il écarte la violence. Socialiste, dans la mesure où elle plaide en faveur de l’intervention de la collectivité dans le marché et revendique l’association des producteurs, elle est hostile en fait à la Révolution et au-delà à l’usage de la violence pour changer la société. De ce point de vue, sa condamnation haineuse de la Commune ne traduit pas un changement de fond. Elle a toujours été hostile au blanquisme et à ceux qui se revendiquaient de l’héritage de 1793. On reste très loin dans ses romans, fondamentalement attachés à l’idée de conciliation des classes, de l’âpreté et de la violence de la lutte des croquants du Périgord décrite par Eugène Le Roy.

9Son idée du changement social ne passe pas non plus dans le sillage des utopistes par l’organisation d’une contre société opposée à la société réelle, inégalitaire et égoïste. Sa grande idée est que le changement doit passer par l’éducation et presque tous ses ouvrages sont des romans de l’éducation – gage d’une émancipation sociale – qui font voir en elle souvent un des précurseurs du projet scolaire de la Troisième République. Mais cette grande ambition de l’éducation du peuple qui doit arracher son terroir à ses liens sociaux ancestraux relève d’une autre logique. Souvent George Sand utilise le mot de « conversion », notion qui convient bien à l’itinéraire de la plupart de ses héros positifs qui, au fil d’une succession d’épreuves, s’émancipent, mais aussi deviennent meilleurs et capable de délivrer dès lors dans la société un message de fraternité et de progrès qui est aussi celui de l’évangile. C’est en fait pour ne pas avoir compris l’atmosphère de spiritualité propre au romantisme dans laquelle baignent ses héros que leur histoire a souvent été présentée à la manière d’une gentille bluette seulement bonne à éduquer les enfants.

10C’est le grand mérite de plusieurs communications d’avoir tenté de reconstruire la façon dont a pu être perçue l’œuvre de George Sand, d’expliquer son succès, mais aussi l’hostilité qu’elle a suscitée et qui n’est pas seulement due au fait qu’une femme en pantalon prenait la plume. Son importance et ce qui donne à son discours socialiste, apparemment très classique aux regards des idées dominantes des « réformateurs sociaux », une dimension originale, c’est précisément qu’il a pour objectif l’émancipation de la société rurale de son temps. Ceux qui cheminent dans la voie de l’association, du partage, de la fraternité sont des paysans et ce n’est pas le moindre mérite de l’écrivain, au-delà des personnalités assez convenues et lisses qu’elle met en scène, d’en avoir fait les messagers d’une émancipation de la société paysanne. Bien peu d’observateurs de son époque ont osé montrer que la question sociale n’était pas seulement celle des ouvriers décrits par Villermé, mais aussi celle des paysans qui, à peine émancipés du régime féodal, tombaient sous la domination d’une bourgeoisie de notables, de fermiers généraux et de nouveaux propriétaires. Adolphe Blanqui, le frère d’Auguste, fut pardonné en 1848 d’avoir dénoncé la misère ouvrière de Rouen ; le parti de l’ordre et ses collègues académiciens le mirent au ban des notabilités intellectuelles pour avoir décrit la misère du paysan français victime de l’usure. Ce n’est pas le moindre paradoxe des romans de George Sand, imprégnés, au-delà des figures vertueuses et lisses de ses personnages, d’un message revendicatif et d’un projet d’émancipation des classes rurales, que le sens de l’œuvre ait tourné court et que ses livres aient été utilisés dans une République devenue conservatrice, en porte-parole d’une image, elle aussi conservatrice, du paysan.

AUTEUR

Francis Démier
Professeur d’histoire à l’université de Paris X




Presses universitaires de Rennes


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https://www.youtube.com/watch?v=Uk-ewrSmHZE
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