![](https://blogimg.goo.ne.jp/user_image/2e/6c/d4d5c7aaf6c9c5b184da38dd9e3e0688.jpg)
神戸生まれ(1967年)のアメリー・ノトン日本へ
外交官の娘として神戸で生まれ、5歳まで日本で育ったノトンにとって日本は特別な存在であり、長い間、自分は日本人だと思っていたと述懐しています。
その関係は「あなたは私のことを愛しているって言うけれど、私なしでもいられるのね』という恋人の非難にも似ているものでもあったという。
日本から245回もの招待を受けながら、いずれも拒否。
しかし、大震災が彼女に来日を促した。今回の来日は、23歳で再来日し三井物産に1年間勤務した1996年以来のこと。
架空の日本の大企業の現実と不条理をユーモア仕立てに描いた「畏れ慄いて」(1999)はベストセラーとなり(50万部を完売)、アカデミー・フランセーズ賞を受賞。日本の会社員必読の書ともされている。「畏れ慄いて」は映画化され、横浜映画祭では上演されたが、日本での一般公開には至っていないそうです。
http://www.amazon.co.jp/%E7%95%8F%E3%82%8C%E6%85%84%E3%81%84%E3%81%A6-%E3%82%A2%E3%83%A1%E3%83%AA%E3%83%BC-%E3%83%8E%E3%83%BC%E3%83%88%E3%83%B3/dp/4878933690
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/03/15/l-appel-du-japon_1669344_3260.html?xtmc=fukushima_le_11_mars&xtcr=4
Amelie Nothomb, nee a Kobe, vit en Europe comme en exil. Elle s'apprete a retourner la-bas, par necessite, pour s'y ressourcer. En depit, ou a cause, de Fukushima. Du 28 mars au 5 avril, je serai au Japon. Je n'y ai plus mis les pieds depuis decembre 1996. C'est peu dire que ce pays m'a manque.
L'appel du Japon
Du 28 mars au 5 avril, je serai au Japon. Je n'y ai plus mis les pieds depuis decembre 1996. C'est peu dire que ce pays m'a manque. J'ai longtemps cru que j'etais nippone. J'ai fini par comprendre que ce qui m'avait fondee n'etait pas le Japon, mais le manque de Japon.
La premiere fois que j'ai quitte l'Archipel, j'avais 5 ans. On m'arrachait a Nishio-san, ma nounou japonaise, que j'aimais a l'egale de ma mere. Les annees qui suivirent cet exil, je souffris au-dela du dicible. Quand ma douleur etait trop insoutenable, je me cachais sous la table pour pleurer en silence. Je concluais toujours par ce serment : "Un jour, je retournerai dans mon pays."
A l'age de 21 ans, apres donc seize annees de manque, je tins parole. Deux de mes livres relatent mes aventures d'alors. J'y decouvris entre autres choses qu'il ne suffisait pas d'etre nee au pays du Soleil-Levant pour en faire partie. Mais ce que je n'ai pas reussi a exprimer, c'est a quel point ce retour au Japon m'a sauvee. Si j'echouai a prouver que j'etais nippone, je parvins a puiser des forces durables dans cette terre elue.
Apres, je quittai a nouveau l'Archipel. Le travail de deuil reprit. J'appris a ne plus me cacher sous la table mais a m'y asseoir pour ecrire. Il s'agissait pour moi de renouer avec l'une de mes plus vieilles habitudes : le manque de ce qu'on aime.
Le reproche amoureux qu'on m'a le plus adresse est celui-ci : "Tu dis que tu m'aimes, mais tu te passes tres bien de moi." Je n'ai jamais reussi a m'expliquer sur ce point. Tout etre aime devient pour moi le Japon ; des lors, il me parait normal de ressentir un manque douloureux a cet egard. Je ne suis pas plus stoicienne que n'importe qui : j'ai seulement l'habitude. Quand je souffre d'un manque extreme, je sais que je suis moi. C'est deja ca.
Stupeur et tremblements parut chez Albin Michel en 1999. Suite a cela, comme on s'en doute, on m'a invitee au Japon 245 fois de maniere ambigue : l'idee etait que je m'explique. J'ai toujours refuse : il n'y avait rien a expliquer. Stupeur n'est pas un livre a these, c'est le recit d'une mesaventure professionnelle dans une grande entreprise nippone. Aujourd'hui, c'est ainsi que l'oeuvre est comprise, et il n'y a plus de scandale.
Le 11 mars 2011, il y eut Fukushima. Depuis, rares sont ceux qui osent aller au Japon. Je ne compte plus le nombre de connaissances qui ont annule leur voyage. Quand je leur dis que c'est surtout maintenant qu'il faut aller sur l'Archipel, par solidarite et pour prouver que cette terre n'est pas pestiferee, on me repond que le risque est trop grand. "Mais les Japonais n'ont pas fui leur pays, eux !", n'ai-je cesse d'affirmer. A quoi on me retorque d'un air finaud que ces pauvres gens sont victimes de la desinformation. Comme quoi tous les pretextes sont bons pour douter non seulement de l'intelligence des Japonais, mais aussi de leur courage.
Cet agacement a joue un role dans le fait que j'accepte la 246e invitation. Pour autant, il n'y a pas lieu de m'attribuer un beau role : ce n'est evidemment pas le pays du Soleil-Levant qui a besoin de moi, c'est moi qui ai besoin de lui. Seize annees ont a nouveau passe depuis mon dernier exil : il semblerait que vis-a-vis de cette terre, mon autonomie soit de seize ans. Mes batteries sont presque completement dechargees, il est grand temps de retourner a la source.
A la source de quoi ? C'est la question a 10 milliards de yens. Le monde entier s'accorde la-dessus : la-bas, il y a quelque chose. Mais quoi ? Personne n'est de la meme opinion. Ceux qui ont le plus ecrit sur le sujet sont les Nippons : on ne denombre plus les essais sur la fameuse specificite japonaise. Il en a resulte des theories plus ou moins incongrues, voire pestilentielles, tant il est vrai qu'il suffit de nommer une impression pour la discrediter. Selon moi, le seul a s'etre montre convaincant est Junichiro Tanizaki dans Eloge de l'ombre (1933), texte admirable, d'une poesie extraordinaire. Encore son explication ne rend-elle pas compte de tous les mysteres japonais, loin s'en faut.
Si l'on me demande ce que moi je vais chercher au Japon, je n'ai aucun mot pour le dire. Je sens tres profondement, dans ma cage thoracique, ce qui entre en convulsion a la seule idee de respirer a nouveau l'air nippon, et je refuse de devaluer par des termes inadequats une pulsion aussi forte. Tout ce que je sais, c'est que, comme la derniere fois, j'ai besoin d'etre sauvee. De quoi ? Si je le savais, je serais deja sur la voie du salut, ce qui n'est pas le cas. Je sais que le Japon a le pouvoir de me sauver, puisqu'il l'a deja fait. Mon salut est evidemment un projet de pietre envergure ; neanmoins, je dois avouer qu'il me tient a coeur.