Jean-Yves Clément, "Franz Liszt", Actes Sud, 2011
"Hongrois-autrichien-allemand-français-italien de nulle part, en fait, bohémien-saltimbanque jusqu'au bout des doigts" selon les mots de l'auteur, combien y a-t-il de Franz Liszt ? Incarnation d'une virtuosité grisante (les Rhapsodies hongroises), mystique romantique (l'oratorio Christus), compositeur-poète (ses mélodies, les Années de pèlerinage)? A l'occasion du deux-centième anniversaire de la naissance du compositeur, Jean-Yves Clément recompose ce passionnant puzzle.
Après avoir découvert les talents de biographe et de poète de l'écrivain, éditeur et directeur artistique Jean-Yves Clément l'année dernière dans deux livres parus à l'occasion du bicentenaire Chopin, ce nouveau livre qui paraît à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Franz Liszt permet de découvrir sous un autre angle l'essayiste Jean-Yves Clément qui est aussi créateur des Lisztomanias de Châteauroux et qui a été nommé Commissaire général de l'année Liszt en France. C'est en effet cette fois sous la forme d'un essai à caractère philosophique et musical qu'il défend avec ardeur et force de conviction Franz Liszt le musicien mal-aimé en mettant en lumière les valeurs humaines du compositeur à travers le parcours chronologique de ses compositions.
C'est aussi à un voyage à nombreuses étapes thématiques et musicales que Jean-Yves Clément invite le lecteur et si le livre, comme à l'habitude chez l'éditeur Actes Sud , n'est relativement pas très épais (160 pages et une annexe donnant des repères biographiques et discographiques), en regard de la vie du compositeur, il n'en est pas moins riche et en fait très long à lire car Jean-Yves Clément d'une part partage admirablement son amour pour la musique de Liszt et donne très souvent envie d'en arrêter la lecture pour aller écouter les nombreuses oeuvres qu'ils mentionnent, et d'autre part, en nous renvoyant la pensée de Liszt et sa double quête, il nous invite à réfléchir sur et au delà du compositeur lui-même.
Jean-Yves Clément a bien voulu répondre à de nouvelles questions à l'occasion de la publication de ce livre sous-titré "Franz Liszt ou la dispersion magnifique " mais avant celles-ci cet extrait final de son "Preludio" vous permettra de mieux en mesurer le propos : " "Il était une fois dans l'histoire de l'art un homme qui prit pour lui la musique, en fît l'ode des odes, l'épopée absolue, la sienne, qu'il confondit avec toutes les autres, dont il fît un tout , c'est à dire un don suprême , une mission, un acte d'amour, donc un idéal, certes une vision, celle de la grandeur de l'homme - y en-a-t-il une autre vraiment ?-, un homme qui voyait dans l'art la transmission possible du coeur, qui en fit son credo, le sens entier de sa vie, par delà toute chose, par-delà sa propre vie. Tentons de le servir aussi bien qu'il servit le monde. "La musique est dans tout. Un hymne sort du monde" a pu déclarer Victor Hugo , que Liszt mit en musique de façon choisie. Cette pensée totale pourrait être de lui. Il était mille fois Franz Liszt"...
Lorsque je vous avais interrogé sur vos deux livres Chopin l'an passé je vous avais demandé quelle place précisément occupe ce compositeur dans votre vie, en lisant votre livre on a le sentiment que Liszt est votre «héros», êtes-vous même "listomaniaque"et comment cela se traduit-il dans votre vie , dans et au delà même de sa musique…?
Liszt porte des valeurs de générosité et de charité qui résonnent à l'intérieur de sa musique, mais qui bien sûr la dépassent aussi. Il est une sorte d'exemple comme il en est fort peu, dans les arts comme ailleurs. En ce sens, il peut guider ma vie. J'ai appris avec lui qu'il nous fallait "servir", rendre le don qui nous est fait... Nous sommes loin finalement de toute hystérie "lisztomaniaque", qui est une maladie que lui-même aurait reniée ! D'aillleurs, l'invention du récital participe de ce désir de donner, de faire rayonner la musique de autres, pour la première fois ainsi. Décidément, que de malentendus !