De quel sexe sont les ecrivain(e)s ?
Article publie le 06 Mai 2011
Par Amaury da Cunha
Source : LE MONDE DES LIVRES
Taille de l'article : 447 mots
Extrait :
UNE FEMME qui ecrit peut-elle esperer la meme reconnaissance qu'un homme ? Son sexe precede-t-il la moindre phrase qu'elle pourrait concevoir ? Lundi 2 mai, a la librairie parisienne Shakespeare & Company, ces questions se sont posees a l'occasion d'une rencontre entre Celine Curiol (qui a publie, en 2009, Exil intermediaire), et Siri Hustvedt, romanciere et essayiste americaine dont le dernier livre, Un ete sans les hommes, est paru cette annee (tous deux chez Actes Sud).
Devant un public aux trois quarts féminin, au milieu de livres majoritairement écrits par des hommes, les deux auteures ont d'abord cherché à déminer le terrain à coups d'anecdotes édifiantes : Céline Curiol se souvient d'un entretien avec une journaliste lui demandant si elle aurait écrit le même livre si elle avait été un homme : "Je lui ai répondu que non, oui, peut-être ; j'ai bafouillé. Etait-elle en train de me demander si c'est avec mon sexe que j'écris ? Et dans ce cas, comment ne pas être gênée par la question ?" De son côté, Siri Hustvedt remarque que lorsqu'une femme publie un roman, quel que soit le sujet, son éditeur mettra le plus souvent en couverture la photographie d'une femme. Et si ce livre est écrit à la première personne, un journaliste lui posera immanquablement la question fatidique : "Mais cette femme, c'est vous ?" Comme si une femme écrivain était incapable de travestissement ou de dédoublement ! Entre amusement et agacement, Céline Curiol s'élève contre ces images récurrentes qui finissent par blesser : "Lorsqu'une femme écrit "je", pourquoi est-ce toujours pris comme un point de vue particulier - le regard d'une seule femme - alors que si c'est un homme qui écrit, son texte deviendra universel ?"
Cherchant à comprendre l'origine de ce problème, Siri Hustvedt parle de "préjugé profond et inconscient". Puis revient aux clichés, qui sont toujours parlants. Chacune s'en donne à coeur joie pour décrire ces inepties, indirectement drôles - par exemple, que l'écrivain travaillerait avec sa force, tandis que l'écrivaine ne pourrait trouver son inspiration que dans la douceur. Céline Curiol rappelle une remarque de Michel Houellebecq, dans un entretien à Mediapart, en 2008 : dans les romans, les femmes préféreraient les jolies fins, le désespoir étant un sentiment trop compliqué pour elles.
Comment faire face à cette misogynie déguisée en provocation ? Sous le regard de son mari, l'écrivain Paul Auster, sagement installé dans la salle, Siri Hustvedt dit haut et fort qu'il faut du courage pour se lever et résister à ces stupidités. Sans chercher à renier leur féminité, ces romancières voudraient qu'une fois pour toutes la question du sexe puisse être dissociée de leurs créations. "Lorsque je travaille à un roman, affirme Céline Curiol, je suis asexuée, ou plutôt bisexuée ; j'ai parfois tous les sexes, y compris ceux qui n'ont pas encore été inventés !"
Amaury da Cunha
Article publie le 06 Mai 2011
Par Amaury da Cunha
Source : LE MONDE DES LIVRES
Taille de l'article : 447 mots
Extrait :
UNE FEMME qui ecrit peut-elle esperer la meme reconnaissance qu'un homme ? Son sexe precede-t-il la moindre phrase qu'elle pourrait concevoir ? Lundi 2 mai, a la librairie parisienne Shakespeare & Company, ces questions se sont posees a l'occasion d'une rencontre entre Celine Curiol (qui a publie, en 2009, Exil intermediaire), et Siri Hustvedt, romanciere et essayiste americaine dont le dernier livre, Un ete sans les hommes, est paru cette annee (tous deux chez Actes Sud).
Devant un public aux trois quarts féminin, au milieu de livres majoritairement écrits par des hommes, les deux auteures ont d'abord cherché à déminer le terrain à coups d'anecdotes édifiantes : Céline Curiol se souvient d'un entretien avec une journaliste lui demandant si elle aurait écrit le même livre si elle avait été un homme : "Je lui ai répondu que non, oui, peut-être ; j'ai bafouillé. Etait-elle en train de me demander si c'est avec mon sexe que j'écris ? Et dans ce cas, comment ne pas être gênée par la question ?" De son côté, Siri Hustvedt remarque que lorsqu'une femme publie un roman, quel que soit le sujet, son éditeur mettra le plus souvent en couverture la photographie d'une femme. Et si ce livre est écrit à la première personne, un journaliste lui posera immanquablement la question fatidique : "Mais cette femme, c'est vous ?" Comme si une femme écrivain était incapable de travestissement ou de dédoublement ! Entre amusement et agacement, Céline Curiol s'élève contre ces images récurrentes qui finissent par blesser : "Lorsqu'une femme écrit "je", pourquoi est-ce toujours pris comme un point de vue particulier - le regard d'une seule femme - alors que si c'est un homme qui écrit, son texte deviendra universel ?"
Cherchant à comprendre l'origine de ce problème, Siri Hustvedt parle de "préjugé profond et inconscient". Puis revient aux clichés, qui sont toujours parlants. Chacune s'en donne à coeur joie pour décrire ces inepties, indirectement drôles - par exemple, que l'écrivain travaillerait avec sa force, tandis que l'écrivaine ne pourrait trouver son inspiration que dans la douceur. Céline Curiol rappelle une remarque de Michel Houellebecq, dans un entretien à Mediapart, en 2008 : dans les romans, les femmes préféreraient les jolies fins, le désespoir étant un sentiment trop compliqué pour elles.
Comment faire face à cette misogynie déguisée en provocation ? Sous le regard de son mari, l'écrivain Paul Auster, sagement installé dans la salle, Siri Hustvedt dit haut et fort qu'il faut du courage pour se lever et résister à ces stupidités. Sans chercher à renier leur féminité, ces romancières voudraient qu'une fois pour toutes la question du sexe puisse être dissociée de leurs créations. "Lorsque je travaille à un roman, affirme Céline Curiol, je suis asexuée, ou plutôt bisexuée ; j'ai parfois tous les sexes, y compris ceux qui n'ont pas encore été inventés !"
Amaury da Cunha