西尾治子 のブログ Blog Haruko Nishio:ジョルジュ・サンド George Sand

日本G・サンド研究会・仏文学/女性文学/ジェンダー研究
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L’ORGUE DU TITAN(5)

2011年04月09日 | サンドの作品など
Ne me demandez pas ce que je pensai et ce que je fis pendant les deux ou trois heures qui suivirent : j'étais fort blessé à la tête et mon sang m'aveuglait. Il me semblait avoir les jambes écrasées et les reins brisés. Pourtant, je n'avais rien de grave, puisque, après m'être traîné sur les mains et les genoux, je me trouvai insensiblement debout et marchant devant moi. Je n'avais qu'une idée dont j'aie gardé souvenir, chercher maître Jean ; mais je ne pouvais l'appeler, et, s'il m'eût répondu, je n'eusse pu l'entendre. J'étais sourd et muet dans ce moment-là.

Ce fut lui qui me retrouva et m'emmena. Je ne recouvrai mes esprits qu'auprès de ce petit lac Servières où nous nous étions arrêtés trois jours auparavant. J'étais étendu sur le sable du rivage. Maître Jean lavait mes blessures et les siennes, car il était fort maltraité aussi. Bibi broutait aussi philosophiquement que de coutume, sans s'éloigner de nous.

Le froid avait dissipé les dernières influences du fatal vin de Chanturgue.
- Eh bien, mon pauvre petit, me dit le professeur en étanchant mon front avec son mouchoir trempé dans l'eau glacé du lac, commences-tu à te ravoir ? peux-tu parler à présent ?
- Je me sens bien, répondis-je. Et vous, maître vous n'étiez donc pas mort ?
- Apparemment ; j'ai du mal aussi, mais ce ne sera rien. Nous l'avons échappé belle !

En essayant de rassembler mes souvenirs confus, je me mis à chanter.
- Que diable chantes-tu là ? dit maître Jean surpris. Tu as une singulière manière d'être malade, toi ! Tout à l'heure, tu ne pouvais ni parler ni entendre, et à présent monsieur sifle comme un merle ! Qu'est-ce que c'est que cette musique-là ?
- Je ne sais pas, maître.
- Si fait ; c'est une chose que tu sais, puisque tu la chantais quand la roche s'est ruée sur nous.
- Je chantais dans ce moment-là ? Mais non, je jouais l'orgue, le grand orgue du titan !
- Allons, bon ! te voilà fou, à présent ? As-tu pu prendre au sérieux la plaisanterie que je t'ai faite ?

La mémoire me revenait très nette.
- C'est vous qui ne vous souvenez pas, lui dis-je ; vous ne plaisantiez pas du tout. Vous souffliez l'orgue comme un beau diable !

Maître Jean avait été si réellement ivre, qu'il ne se rappelait et ne se rappela jamais rien de l'aventure. Il n'avait été dégrisé que par l'écroulement d'un pan de la roche Sanadoire, le danger que nous avions couru et les blessures que nous avions reçues. Il n'avais conscience que du motif, inconnu à lui, que j'avais chanté et de la manière étonnante dont ce motif avait été redit cinq fois par les échos merveilleux mais bien connus de la roche Sanadoire. Il voulut se persuader que c'était la vibration de ma voix qui avait provoqué l'écroulement ; à quoi je lui répondis que c'était la rage obstinée avec laquelle il avait secoué et déraciné l'arbuste qu'il avait pris pour un manche de soufflet. Il soutint que j'avais rêvé, mais il ne put jamais expliquer comment, au lieu de chevaucher tranquillement sur la route, nous étions descendus à mi-côte du ravin pour nous amuser à folâtrer autour de la roche Sanadoire.

Quand nous eûmes bandé nos plaies et bu assez d'eau pour bien enterrer le vin de Chanturgue, nous reprîmes notre route ; mais nous étions si las et si affaiblis, que nous dûmes nous arrêter à la petite auberge au bout du désert. Le lendemain, nous étions si courbatus, qu'il nous fallut garder le lit. Le soir, nous vîmes arriver le bon curé de Chanturgue fort effrayé ; on avait trouvé le chapeau de maître Jean et des traces de sang sur les débris fraîchement tombés de la roche Sanadoire. A ma grande satisfaction, le torrent avait emporté la cravache.

Le digne homme nous soigna fort bien. Il voulait nous ramener chez lui, mais l'organiste ne pouvait manquer à la grand'messe du dimanche et nous revînmes à Clermont le jour suivant.

Il avait la tête encore affaiblie ou troublée quand il se retrouva devant un orgue plus inoffensif que celui de la Sanadoire. La mémoire lui manqua deux ou trois fois et il dut improviser, ce qu'il faisait de son propre aveu très médiocrement, bien qu'il se piquât de composer des chefs-d'oeuvre à tête reposée.

A l'élévation, il se sentit pris de faiblesse et me fit signe de m'asseoir à sa place. Je n'avais jamais joué que devant lui et je n'avais aucune idée de ce que je pourrais devenir en musique. Maître Jean n'avait jamais terminé une leçon sans décréter que j'étais un âne. Un moment je fus presque aussi ému que je l'avais été devant l'orgue du titan. Mais l'enfance a ses accès de confiance spontanée ; je pris courage, je jouai le motif qui avait frappé le maître au moment de la catastrophe et qui, depuis ce moment-là, n'était pas sorti de ma tête.

Ce fut un succès qui décida de toute ma vie, vous allez voir comment.

Après la messe, M. le grand vicaire, qui était un mélomane très érudit en musique sacrée, fit mander maître Jean dans la salle du chapitre.
- Vous avez du talent, lui dit-il, mais il ne faut point manquer de discernement. Je vous ai déjà blâmé d'improviser ou de composer des motifs qui ont du mérite, mais que vous placez hors de saison, tendres ou sautillants quand ils doivent être sévères, menaçants et comme irrités quand ils doivent être humbles et suppliants. Ainsi, aujourd'hui, à l'élévation, vous nous avez fait entendre un véritable chant de guerre. C'était fort beau, je dois l'avouer, mais c'était un sabbat et non un Adoremus.

J'étais derrière maître Jean pendant que le grand vicaire lui parlait, et le coeur me battait bien fort. L'organiste s'excusa naturellement en disant qu'il s'était trouvé indisposé, et qu'un enfant de choeur, son élève, avait tenu l'orgue à l'élévation.
- Est-ce vous, mon petit ami ? dit le vicaire en voyant ma figure émue.
- C'est lui, répondit maître Jean, c'est ce petit âne !
- Ce petit âne a fort bien joué, repris le grand vicaire en riant. Mais pourriez-vous me dire, mon enfant, quel est ce motif qui m'a frappé ? J'ai bien vu que c'était quelque chose de remarquable, mais je ne saurais dire où cela existe.
- Cela n'existe que dans ma tête, répondis-je avec assurance. Cela m'est venu dans la montagne.
- T'en est-il venu d'autres ?
- Non, c'est la première fois que quelque chose m'est venu.
- Pourtant...
- Ne faites pas attention, reprit l'organiste, il ne sait ce qui dit, c'est une réminiscence !
- C'est possible, mais de qui ?
- De moi probablement ; on jette tant d'idées au hasard quand on compose ! le premier venu ramasse les bribes !
- Vous auriez dû ne pas laisser perdre cette bribe-là, reprit le grand vicaire avec malice ; elle vaut une grosse pièce.

Il se retourna vers moi en ajoutant.
- Viens chez moi demain après ma messe basse, je veux t'examiner.

Je fus exact. Il avait eu le temps de faire ses recherches. Nulle part il n'avait trouvé mon motif. Il avait chez lui un beau piano et me fit improviser. D'abord je fus troublé et il ne vint que du gâchis ; puis, peu à peu, mes idées s'éclaircirent et le prélat fut si content de moi, qu'il manda maître Jean et me recommanda à lui comme son protégé tout spécial. C'était lui dire que mes leçons lui seraient bien payées. Le professeur me retira donc de la cuisine et de l'écurie, me traita avec plus de douceur et, en peu d'années, m'enseigna tout ce qu'il savait. Mon protecteur vit bien alors que je pouvais aller plus loin et que le petit âne était plus laborieux et mieux doué que son maître. Il m'envoya à Paris, où je fus, très jeune encore, en état de donner des leçons et de jouer dans les concerts. Mais ce n'est pas l'histoire de ma vie entière que je vous ai promise ; ce serait trop long, et vous savez maintenant ce que vous vouliez savoir comment une grande frayeur, à la suite d'un accès d'ivresse, développa en moi une faculté refoulée par la rudesse et le dédain du maître qui eût dû la développer. Je n'en bénis pas moins son souvenir. Sans sa vanité et son ivrognerie, qui exposèrent ma raison et ma vie à la roche Sanadoire, ce qui couvait en moi n'en fût peut-être jamais sorti. Cette folle aventure qui m'a fait éclore, m'a pourtant laissé une susceptibilité nerveuse qui est une souffrance. Parfois, en improvisant, j'imagine entendre l'écroulement du roc sur ma tête et sentir mes mains grossir comme celles du Moïse de Michel-Ange. Cela ne dure qu'un instant, mais cela ne s'est point guéri entièrement, et vous voyez que l'âge ne m'en a pas débarrassé.

Mais, dit le docteur au maestro quand il eut terminé son récit, à quoi attribuez-vous cette dilatation fictive de vos mains, cette souffrance qui vous saisit à la roche Sanadoire avant son trop réel écroulement ?
- Je ne peut l'attribuer, répondit le maestro, qu'à des orties ou à des ronces qui poussaient sur le prétendu clavier. Vous voyez, mes amis, que tout est symbolique dans mon histoire. La révélation de mon avenir fut complète : des illusions, du bruit... et des épines !

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